Exposition Thomas Geve - Il n’y pas d’enfants ici

Dessins d’un enfant survivant des camps de concentration

Publié le 8 novembre 2021 Mis à jour le 19 novembre 2021

Exposition conçue par Corinne Benestroff et Agnès Triebel - Commémoration de la rafle du 25 novembre 1943 à l’Université de Clermont-Ferrand - Colloque Mémoire(s), valeurs et transmissions, Université Clermont Auvergne, 23-26 novembre 2021

 

Thomas Geve

Né en 1929 à Stettin, Thomas Geve est déporté à Auschwitz avec sa mère en juin 1943. Envoyée à Birkenau, cette dernière ne survivra pas.

Thomas Geve, treize ans, qui fait plus grand que son âge, est considéré comme apte au travail, ce qui lui permet d’échapper à la chambre à gaz où étaient envoyés directement les enfants de moins de quinze ans. Lors de l’évacuation d’Auschwitz en janvier 1945, il est transféré au camp de Gross-Rosen puis à Buchenwald où il est libéré le 11 avril 1945.

Très affaibli, il reste pendant un mois au block 29 où se trouvaient les détenus antifascistes allemands. Il réalise 79 dessins en couleurs qui décrivent la vie concentrationnaire. Ils furent conservés par son père à Birmingham (Angleterre) et Thomas Geve en fit don en 1985 à Yad Vashem. Des reproductions sont présentées au Mémorial de Buchenwald. En 2008, l’Association française Buchenwald-Dora et Kommandos les présente en France et publie le catalogue d’exposition Thomas Geve, Il n’y a pas d’enfants ici. Dessins d’un enfant survivant des camps de concentration, préface de Boris Cyrulnik, Paris, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, 2009. Traduction de l’allemand par Agnès Triebel.

En 1958 Thomas Geve publie ses mémoires qui seront traduits en plusieurs langues.

 

Auschwitz

Situé à 60 Km de Cracovie (Pologne), Auschwitz est un des six centres de mise à mort en Pologne occupée.
Il est composé de trois camps :
  • Auschwitz I : camp souche
  • Auschwitz II (Birkenau): centre de mise à mort
  • Auschwitz III (Monowitz): camp de travaux forcés
À ce complexe, s’ajoutent d’autres camps satellites.
La « sélection » à l’arrivée orientait les déportés venant de toute l’Europe occupée vers le travail ou les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau.
À l’approche des forces soviétiques, les SS évacuèrent 60 000 détenus vers d’autres camps en Allemagne. Il ne restait que quelques milliers de prisonniers quand l’Armée rouge libéra Auschwitz, le 27 janvier 1945.
1,1 million de détenus juifs, « des dizaines de milliers de Polonais chrétiens, de Tsiganes et de prisonniers de guerre soviétiques périrent à Auschwitz. »

(Source : Auschwitz | Encyclopédie multimédia de la Shoah)
 

Exposition

Arrivée à la rampe

« Auschwitz, juin 1943. J’ai treize ans. c’est la sélection. On décide qui vivra, qui mourra.
Mon père est en Angleterre et se bat aux côtés des Alliés. Je suis séparé de ma mère.
Elle n’est pas revenue des camps. »

KL Birkenau

« C’est par cette porte du camp de Birkenau que passaient les victimes.
Il n’y en pas des centaines de milliers, comme je l’ai écrit à l’époque, mais des millions. »

Abécédaire d’Auschwitz


« Cela commence par A comme appel, B comme block, C comme capo, et se termine par V comme Vorarbeiter (contremaître), W comme Waschraum (lavabos) et Z comme Zaun (clôture).
Pour moi, qui étais en tenue rayée, ces mots-là ont été toute ma vie pendant vingt-deux mois à Birkenau, Auschwitz I, Gross-Rosen et Buchenwald.
J’étais toujours seul au camp, sans parents, avec peu d’amis, qui ont disparu dans l’inconnu les uns après les autres. »

La désinfection et le tatouage des déportés


« Nous avancions vers les tables. Un jeune déporté russe me prit le bras gauche et commença à le tatouer à l’aide d’une plume à pointe double qu’il trempait dans de l’encre bleue. »

Nos rations-Comparaison Auschwitz/ Buchenwald 


« Ma capacité d’imagination était parfaite. […] Quand j’avais faim, je me remplissais l’estomac de pâté de foie, de boudin ou de saucisson à l’ail, de saucisses de Francfort ou de salamis imaginaires. […] Sur les marches de la mort, pendant les évacuations, nous n’avions plus rien à manger. Pendant les derniers jours de l’existence du camp de Buchenwald, on ne nous distribuait même plus nos rations. »

Appel jusque tard dans la nuit


« […] (un) sous-officier SS nous comptait de sa main gantée et du haut de son arrogance, (c’)était chaque fois pour nous le rappel de notre totale inexistence pour les SS. Quand le comptage ne tombait pas juste […], l’appel se renouvelait et se prolongeait pendant des heures. Cela excitait ces figures incarnées du sadisme de voir tout un camp de « sous-hommes » épuisés, livrés là tout à leur pouvoir de grâce et de disgrâce »

Les doyens de block s’avancent pour l’appel


« Le compte est bon (Auschwitz I).
Le doyen du camp rend aux SS les listes d’appel.
Les chefs de blocks sont en rang. »

Évacuation d’Auschwitz -10 janvier 1945


« La colonne interminable se dirige vers l’ouest, dans la neige, la nuit, pendant des jours et des jours, face à tous les dangers. […]
Au début, nous marchions en rang. Au fur et à mesure, nous avancions tel un troupeau de bêtes épuisées. De part et d’autre des routes, on apercevait des tas abandonnés dans les champs.[…] Il s’agissait de monceaux de cadavres en tenue rayée, empilés les uns sur les autres dans la neige »

KL Buchenwald


Après le camp de Gross-Rosen, Thomas Geve arrive au Konzentrationlager Buchenwald
Ce camp créé en 1937 est destiné aux adversaires politiques et à tous ceux que l’idéologie nazie veut exclure: Juifs, Sintis, Roms, témoins de Jéhovah, détenus de droit commun, SDF, homosexuels.
280 000 personnes, venant de toute l’Europe seront détenues et assignées au travail forcé dans le camp principal et les 136 camps extérieurs. Parmi elles , près de 30 000 femmes. On y pratique la torture et des expériences médicales.
56 000 personnes y périrent, 8 000 prisonniers de guerre soviétiques y furent exécutés.
L’organisation clandestine de résistance a permis d’améliorer les conditions d’existence. Elle est à l’origine du sauvetage de 903 enfants.
Le triangle rouge était l’insigne cousu sur les vestes des détenus politiques, le triangle vert désignait les détenus de droit commun.
Le 11 avril 1945 a lieu l’insurrection des détenus alors que les troupes américaines approchent.

Le Lagerschutz (police de protection du camp) veille dans la nuit solitaire 


« Des hommes en uniforme bleu, portant un béret noir et des bottes étincelantes, attendaient à la rampe. […] Ils portaient des matricules sur la poitrine, exactement comme nous. […] Nous étions à Buchenwald, là où avaient été envoyés les prisonniers politiques allemands. »

Les Lagerschutz furent une composante essentielle de l’action clandestine au camp.

WIR SIND FREI- NOUS SOMMES LIBRES-11.IV.45
Les détenus de Buchenwald se libèrent


« C’était le 11 avril 1945, entre trois et quatre heures de l’après-midi. Nous attendions sans savoir ce qui allait se passer, mais la tension était à son comble. […]. Notre petit camp semblait toujours sans vie, quand tout à coup quelqu’un hurla: « Regardez, le portail! » […] La croix gammée avait disparu et sur le mât flottait quelque chose de blanc. Le moment tant attendu était enfin là! Cette délicieuse minute de victoire, que nos camarades avaient attendue pendant 4 453 jours et 4 453 nuits, était enfin arrivée. »

Témoigner par le dessin

L’œuvre exceptionnelle de Thomas Geve fait partie des nombreuses productions picturales créées dans l’univers concentrationnaire. Témoignage émouvant, minutieux et précis, elle décrit la complexité de son fonctionnement et la terreur qui y régnait.

Voir aussi :
Clair Jean, La Barbarie ordinaire. Zoran Music à Dachau, Paris, Gallimard, 2001.
Provost Geneviève, Mémoire gravée-Pierre Provost, Buchenwald 1944-1945, Carbonne, Nouvelles Editions Loubatières, 2016.
Reboul Marie-France, Buchenwald-Dora, L’ Art clandestin dans les camps nazis, Lille, Le geai bleu, 2016.
Spitzer Walter, Sauvé par le dessin. Buchenwald, Paris, Favre, 2004. Préface Elie Wiesel.
Taslitzky Boris, 111 dessins faits à Buchenwald (1944-1945). Présentés par Julien Caïn, Paris, La Bibliothèque française, 1946.
Site sur L'art et les camps

Film :
Cognet Christophe, Parce que j'étais peintre. L’art rescapé des camps nazis, 2004. Production La Huit-Stéphane Jourdain.
 

Sources

Les dessins et textes de Thomas Geve sont extraits du catalogue de l’exposition réalisée par l’Association française Buchenwald Dora et Kommandos (AFBDK) publié en français : Thomas Geve, Il n’y a pas d’enfants ici. Dessins d’un enfant survivant des camps de concentration, Paris, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, 2009. Traduit de l’allemand par Agnès Triebel, préface Boris Cyrulnik. Textes de Agnès Triebel (AFBDK) et Dominique Durand (AFBDK), Volkhard Knigge (Fondation des Mémoriaux de Buchenwald et Mittelbau Dora), Avner Shalev (Yad Vashem).
L’exposition intégrale est disponible à l’Association française Buchenwald-Dora et Kommandos : contact@buchenwald-dora.fr

Liste des dessins (Catalogue d’exposition)

Thomas Geve, Il n’y a pas d’enfants ici. Dessins d’un enfant survivant des camps de concentration, Paris, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, 2009. Traduit de l’allemand par Agnès Triebel, préface Boris Cyrulnik

  • Arrivée à la rampe (p 29). 1945-10 x 15 cm. Mine et aquarelle
  • La porte de Birkenau (p. 31). 1945-15 x 10 cm. Mine et crayons de couleurs
  • Abécédaire (p. 40). 1945-10 x 15 cm. Mine, crayons de couleurs et aquarelle
  • Désinfection et tatouage des déportés (p. 32). 1945-15 x 10 cm. Mine, crayons de couleurs et aquarelle
  • Ce que nous avions/comparaison Auschwitz/Buchenwald (p. 43). 1945- 10 x 15 cm. Mine, crayons de couleurs et aquarelle
  • Appel : Jusque tard dans la nuit (p. 58). 15 x 10 cm. Mine, crayons de couleurs et aquarelle
  • Appel : Les doyens de block s’avancent pour l’appel (p. 59). 1945- 20 x 13, 5 cm. Mine, crayons de couleurs et aquarelle
  • Évacuation (p. 120). 1945- 15 x 10 cm. Mine, crayons de couleurs et aquarelle
  • KL Buchenwald (p. 125). 1945- 20, 5 x 13 cm. Mine, crayons de couleurs et aquarelle
  • Notre Lagerschutz, des détenus gardiens de nuit (p. 128). 1945- 15 x 10 cm. Mine et aquarelle
  • Wir sind frei : Nous sommes libres. Les détenus de Buchenwald se libèrent (p. 139). 1945- 15 x 10 cm. Mine, crayons de couleurs et aquarelle

Bibliographie et filmographie (sélection)

Thomas Geve

Ouvrages
Youth in Chains, (1958), Jérusalem, Rubin Mass, 1981.
Guns and Barbed Wires: A Child Survives the Holocaust, Academy Chicago, 1987
Es gibt hier keine Kinder Auschwitz. Gross Rosen. Buchenwald, Göttingen, Wallstein Verlag, 1997.
Survivant d’Auschwitz, Paris, Jean-Claude Gaswsewitch Éditeur, 2011. Traduit de l’allemand par Agnès Triebel. Geraubte Kindheit, Constance, Südverlag, 1993.
The Boy Who Drew Auschwitz, Harper Collins Publishers, 2021

Films
Thomas Geve, Künstler ud Zeitzeuge, Ingo Seidel, Berlin, 17 novembre 2008.
DVD animé des dessins de Thomas Geve-Il n’y a pas d’enfants ici, réalisé par Agnès Triebel, production Mémorial du Maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la libération de Paris/Musée Jean Moulin-Association Buchenwald-Dora et Kommandos-ECPAD (Ministère de la Défense), 2009.

Pour aller plus loin

Témoignages de jeunes déportés
Cling Maurice, (1999), Un enfant à Auschwitz, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, 2008.
Christophe Francine, Une petite fille privilégie, Paris, Pocket, 2001.
Herz Bertrand, Le Pull-Over de Buchenwald, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, 2015.
Wiesel Elie, (1958), La Nuit, Paris, Les Éditions de Minuit, 2007.

Témoignages
Antelme Robert, L’Espèce humaine, Paris, Gallimard, 1957.
Bialot Joseph, C’est en hiver que les jours rallongent, Paris, Seuil, 2002.
Delbo Charlotte, (1970), Auschwitz et après (Trilogie), Les Éditions de Minuit, 2004.
Levi Primo, (1958), Si c’est un homme, Paris, Julliard, 1987. Si questo è un uomo.
Rousset David, (1965), L’Univers concentrationnaire, Paris, Hachette, 2003.
Semprun Jorge, L’Écriture ou la vie, Paris, Gallimard, 1994.
Tillion Germaine, Ravensbrück, Paris, Seuil, 1988.

Ouvrages historiques
Fontaine Thomas, Déportations & génocide. L’impossible oubli, Paris, Tallandier Éditions, 2009.
Kogon Eugen, (1946), L’État SS. Le système des camps de concentration allemands, Paris, Points Seuil, 2002. Der SS Staat. Das System der deutschen Konzentrationlageren Europaïsche, Frankfurt-am-Main, Verlgstalt.
Langbein Hermann, (1980), Hommes et femmes à Auschwitz, Paris, Tallandier/Texto, 2019. Menschen in Auschwitz.
Rouveyre Myriam, Enfants de Buchenwald, Paris, Julliard, 1995.
Wieviorka Annette, (1992), Déportation et génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Paris, hachette, 1995.
 

Remerciements

Nous remercions chaleureusement Thomas Geve, Liat Dessy (Yad Vashem), Florence Faberon, Professeure de droit public, (Université de Guyane et de Clermont-Auvergne), Arnaud Paturet (CNRS), Olivier Lalieu, président de l’ Association française Buchenwald-Dora et Kommandos.
Corinne Benestroff, Agnès Triebel